PRESSE-PAPIER
BnF - Grande commande photographique
(2023)
Le 4 mars 2022, Emmanuel Macron choisissait la presse quotidienne régionale pour adresser sa « Lettre aux français » et ainsi officialiser sa candidature pour un second mandat présidentiel. Un choix stratégique car la presse quotidienne
se porte bien. C'est en tout cas ce que traduisent les chiffres de l'ACPM (Alliance pour les Chiffres de la Presse et des Médias). D'après Stéphane Bodier, son directeur général, les audiences globales n'ont même jamais été aussi bonnes, mais elles révèlent une mutation importante du secteur. Les abonnements numériques s'envolent, alors que les ventes de journaux poursuivent leur chute vertigineuse, surtout dans la presse d'information générale.
Si la crise de la presse a connu plusieurs paliers, avec notamment l'arrivée de l'iPhone en 2007 qui a modifié structurellement notre rapport au digital, le Covid lui, a agi comme un coup d'accélérateur à cette mutation, avec une pénurie de papier, l'explosion de son prix liée notamment à une hausse inédite du coût de l'énergie, et des confinements à répétition. A cela s'ajoute la faillite de Presstalis, le distributeur historique de la presse, en 2020, autant de facteurs déterminants de la crise du support papier. Tablettes, ordinateurs ou smartphones le remplacent désormais chez bon nombre de lecteurs.
Faut-il y voir la disparition programmée du support papier ?
Les journaux de demain ne seront-ils que des données 2.0 ?
Presse-papier va à la rencontre d'acteurs de ce secteur en pleine révolution, met en lumière différentes étapes de la vie de titres de presse, afin de comprendre quel est l'impact de cette crise sur son écosystème. Il délivre un instantané d'un secteur mutant à vitesse grand V et questionne notre rapport au papier dans un monde de plus en plus digital.
Ali Akbar, 71 ans, est le dernier vendeur de journaux à la criée à Paris. Depuis 51 ans, il arpente les rues du quartier de Saint-Germain-des-Prés en criant «Le Monde, Le Monde, qui veut Le Monde !».
Mais les ventes chutent d'année en année. Quand il a démarré son activité, Ali vendait 200 journaux par jour. Aujourd'hui, li n'en vend que 30 et gagne 45€ par jour. «Mon métier a déjà disparu il y a des années. Si je continue, c'est pour garder la santé ! Je suis tout seul pour animer le quartier et crier des blagues, mais j'aime faire rire les gens et je ne veux pas m'arrêter.»
Septembre 2022, massif forestier de Gérardmer dans les Vosges.
Le bois vit ses derniers instants en tant que matière première entrant dans la composition du papier journal fabriqué par l'usine Norske Skog, située à une cinquantaine de kilomètres.
Arbre martelé avant sa coupe sur une parcelle destinée notamment à fournir l’usine à papier journal Norske Skog.
Papier récupéré, destiné à la fabrication du papier journal, à l’usine Norske Skog. Longtemps utilisées en combinaison avec le bois, les fibres recyclées entrent à 100% dans la composition de la pâte à partir de janvier 2023. L’usine s’adapte ainsi à la demande des imprimeurs qui ont désormais pour obligation d’utiliser du papier à 95% recyclé. Golbey, 21 septembre 2022.
Dernière machine à papier journal, dans la dernière usine à papier journal de France, Norske Skog, située à Golbey, dans les Vosges. Elle produit 330.000 tonnes de papier journal par an, désormais à base de papier recyclé,à destination quasi exclusive du marché européen. Une seconde machine identique vient d'être mise à l'arrêt pour être transformée afin de produire prochainement du papier pour ondulé, pour alimenter en carton le marché florissant du e-commerce.
Machine à papier journal à l'arrêt, dans la papeterie Chapelle Darblay, à Grand-Couronne en Seine-Maritime. Ce site emblématique du papier en France a fermé en 2020, alors qu'il était le seul à produire du papier journal 100% recyclé, et représentait un modèle d'économie circulaire. Ses 217 salariés ont été licenciés.
Cyril Briffault, Julien Sénécal et Arnaud Dauxerre étaient salariés de la papeterie Chapelle Darblay. Depuis sa fermeture, ils se sont unis dans une lutte acharnée pour la sauvegarde de leur usine et de ses outils de production. Préemptée dans un premier temps par la Métropole Rouen Normandie pour en assurer sa survie, la papeterie a été rachetée en 2022 par Veolia, avec l'objectif de produire du papier pour ondulé, en partenariat avec Fibre Excellence. Au marché déclinant de la presse papier se substitue celui en plein essor de l'emballage carton.
Une lectrice lit Le Monde, dans une brasserie du quartier de Saint-Germain-des-Prés, à Paris. Le Monde est le quotidien national le plus lu en France, mais la vente de son édition papier baisse d'année en année, alors que ses abonnements numériques explosent.
Choix de la Une du journal Le Monde en salle de bouclage, dans la dernière ligne droite avant l'envoi des pages à l'imprimerie. Le journal papier concerne 95.000 abonnés, en baisse chaque année, alors que 450.000 personnes sont abonnées à la version numérique du quotidien. Face à la révolution digitale, accélérée de manière fulgurante par la crise sanitaire, le journal s'est doté d'un service web qui publie une centaine de contenus par jour.
Ces rotatives de l'imprimerie Riccobono impriment quotidiennement Le Monde, Le Figaro ou encore Les Échos sur le site du Tremblay-en-France. La presse représente les deux tiers de l'activité du groupe, mais son volume baisse de 5 à 10% par an.
Ces rotatives de l'imprimerie Riccobono impriment quotidiennement Le Monde, Le Figaro ou encore Les Échos sur le site du Tremblay-en-France. La presse représente les deux tiers de l'activité du groupe, mais son volume baisse de 5 à 10% par an.
L'impact de la chute des tirages presse est majeur pour l'entreprise qui subit un plan social tous les trois ou quatre ans, avec à chaque fois le départ d'une trentaine ou quarantaine de personnes. Aujourd'hui, l'imprimerie compte 120 salariés.
Bruno Mario feuillette Le Figaro qui vient de sortir des rotatives. lI travaille depuis 37 ans sur le site Riccobono du Tremblay dont il est le plus ancien salarié.
«Quand j'ai commencé, Le Figaro tirait à un million d'exemplaires. Aujourd'hui, il ne tire plus qu'à 65.000 exemplaires.»
Un chauffeur livreur s'apprête à partir de l'imprimerie Riccobono en direction du centre de tri du distributeur France Messagerie à Bobigny.
Réunion du bureau du SGLCE-CGT, dans ses locaux, à Paris. Ce syndicat, historiquement très puissant par sa capacité à bloquer l'ensemble des chaînes de production et de distribution de la presse quotidienne nationale, perd de son influence dans un contexte de baisse des ventes et d'explosion du numérique.
Depuis 15 ans, Jacques Bouton, ouvrier de nuit au centre de tri de France Messagerie, à Bobigny, compte les magazines en fonction du nombre affecté à chaque point de
vente.
France Messagerie assure la distribution de l'ensemble des quotidiens nationaux en France, et un quart de la presse magazine. Elle a pris la suite de Presstalis, distributeur historique liquidé en juillet 2020, dont la chute a été accélérée par la crise sanitaire.
La distribution de la presse constitue un enjeu démocratique majeur et son secteur est très réglementé. France Messagerie a l'obligation légale de livrer les 21.200 points de vente tous les jours avant leur ouverture.
900.000 exemplaires de journaux et magazines sont traités chaque jour par le distributeur, mais le volume baisse de 10% par an.
Foued Bououd est chauffeur livreur depuis 10 ans. lI a toujours travaillé pour la presse, à raison de deux tournées quotidiennes, une la nuit, l'autre à la mi-journée. «Il y a moins de journaux qu'avant. Internet, ça a tout changé. Moi, je préfère toucher les journaux plutôt que regarder sur le téléphone. Je lis L'Equipe, Le Parisien de temps en temps.»
Les journées d'un marchand de presse sont longues, environ dix heures, pour un revenu mensuel qui ne dépasse bien souvent pas le Smic.
lI existe 6.500 titres de presse en France et la presse magazine est le premier marché au monde par habitant. Un casse-tête pour les kiosquiers qui sont contraints par la loi Bichet de proposer une multitude de titres, parfois en exemplaires uniques qui ne se vendent pas, dans un périmètre strictement encadré.
Dans le quartier de la gare de Lyon, cette librairie était le plus gros marchand de presse de la capitale. Elle vient de fermer définitivement. En cause notamment, les travaux dans le centre commercial attenant, et le télétravail qui s'est généralisé avec la crise sanitaire, et qui a dépeuplé ce quartier d'affaires. A 62 ans, Daniel et Michel démontent les dernières étagères avant de prendre leur retraite. 600 à 800 points de vente disparaissent chaque année.
Raymond Thon, 76 ans, lit Le Messager, hebdomadaire régional de Haute-Savoie, qu'il vient d'aller acheter, comme tous les jeudis, au point presse de son village, Abondance. La presse hebdomadaire régionale subit l'érosion des ventes papier de manière moins brutale que la presse quotidienne nationale. Mais la mutation engagée par la transition numérique la met face à d'autres difficultés.
Les cinq journalistes de la rédaction thononaise du Messager choisissent la Une de l'édition Chablais. La révolution numérique, doublée de la crise sanitaire ont eu des effets importants sur le journal qui est passé de 76 à 52 pages. La publicité, freinée brutalement par le Covid, est partie sur internet et les petites annonces subissent la concurrence implacable du site Leboncoin.
Valentin Danré réalise un podcast audio sur une commerçante qui prend sa retraite. L'audience des articles est souvent meilleure quand ils sont accompagnés de contenu multimédia.
Le virage numérique pris par le journal a été le déclencheur de changements journalistiques majeurs. A la place de la dizaine d'articles qui étaient proposés chaque semaine, les journalistes travaillent sur trois gros sujets de plusieurs pages. La micro locale a quant à elle été laissée de côté, face à l'immédiateté des réseaux sociaux sur ce terrain.
Clara Rigoli, jeune journaliste récemment diplômée, vient d'apprendre qu'elle est embauchée au Messager, sur un nouveau poste dédié exclusivement au web. En compagnie de son père, elle appelle sa mère pour le lui annoncer. Le Messager compte environ 1.500 abonnés numériques qu'il est difficile de fidéliser. Par son embauche, le titre poursuit son objectif d'accélérer la transition digitale.
Yves Peyrani, 85 ans, a longtemps été correspondant régulier pour Le Messager. Dépassé par les nouvelles technologies et le changement de ligne éditoriale, il n'écrit plus que quelques lignes par semaine. «Internet, c'est bien, mais il y a toute une partie de la population qui est passée à côté. On est un peu laissés pour compte».
Didier Dutruel n'est plus correspondant pour Le Messager. lI est parti car li estimait que son travail n'était plus reconnu par la rédaction. Aujourd'hui, li poursuit son activité pour un site associatif. Sur internet, Didier a retrouvé la liberté d'écriture et la diffusion qu'il n'avait plus dans la presse et poursuit la micro locale que le journal a abandonnée. «Les seniors ne trouvent plus leur compte dans Le Messager, or, ce sont eux qui l'achètent. Avant, il y avait une information de proximité, et quand il y avait une petite information sur une association, des noces d'or. les gens concernés achetaient le journal.»
Précurseur, en amont de la révolution digitale qui bouleverse la presse papier, Mediapart est né en 2008 d'un double pari de ses fondateurs de lancer un journal exclusivement sur le web, et de rendre sa lecture payante. La rédaction s'est faite remarquer par des enquêtes majeures qui ont permis au journal de devenir bénéficiaire au bout de deux ans d'existence. Les révélations sur les dysfonctionnements dans la gestion des masques en plein confinement lui ont permis de gagner 50.000 abonnés et ainsi passer prématurément la barre des 200.000 abonnés.
Conférence de rédaction du 1hebdo. Face à la déferlante digitale, la rédaction dirigée par Eric Fottorino croit en l'avenir du papier. Ici sont aussi produits les mooks Zadig, Légende, et America, des revues à mi-chemin entre le magazine et le livre, qui font la part belle au beau papier et trouvent de plus en plus leur place en kiosques et en librairies.
Sans publicité, tiré sur un papier 90 grammes, destiné à traverser le temps, le journal est pensé pour être conservé et affiché.
Le numéro 16 de Zadig est prêt à être imprimé. Anne-Sophie Legan procède au BAT machine, qui consiste à vérifier les couleurs et la qualité d'impression. Le travail de finition est artisanal et précis, les pages sont vérifiées une à une afin que le rendu soit optimal.
Stock de papier, à la papeterie Norske Skog, dernière usine à papier journal de France. En novembre, la tonne de papier atteint des sommets, 1.100€, alors qu'elle était de 400€ au premier trimestre 2021. Une flambée historique qui se répercute sur le prix des quotidiens nationaux, qui augmente de 20 centimes en moyenne en janvier 2023, et qui oblige de nombreuses publications à revoir grammage et pagination à la baisse.
A la hausse du prix du papier, les imprimeries sont confrontées à une forte augmentation de leur facture énergétique. Pour faire tourner ses rotatives, Maury, l'imprimeur de la revue Zadig entre autres, a du payer une facture multipliée par quatre entre 2021 et 2022. En visite à l'imprimerie Maury, Roland Lescure, le ministre délégué chargé de l'Industrie annonce une aide de dix millions d'euros d'ici à fin 2023.
La Bibliothèque nationale de France consacre l'une de ses quatre tours à la conservation des périodiques de presse. L'objectif est de permettre la transmission aux générations futures, à la fois du contenu mais aussi de l'objet. Un challenge car les journaux sont particulièrement fragiles.
Pour retarder la dégradation inéluctable du papier, les journaux et magazines sont reliés et rangés dans des boîtes, avant d'être archivés. Ils sont conservés à l'abri de la lumière, dans des magasins à la température et à l'hygrométrie contrôlées.
Dans un atelier, au sous-sol de la Bibliothèque nationale de France, Jorge Garcia, magasinier de conservation, répare les journaux fragilisés par le temps et les prépare à la numérisation.
La numérisation est indispensable pour assurer la conservation des périodiques, car malgré tous les soins, le papier poursuit sa lente et inéluctable érosion et est condamné à disparaître. Ses informations, elles, sont sauvées et accessibles à tous gratuitement sur internet.